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« Au soir d’Alexandrie », d’Alaa El Aswany : une ville étouffée

« Au soir d’Alexandrie » (Al-ashjâr tamshî fî al-Iskandarîyya), d’Alaa El Aswany, traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier, Actes Sud, 374 p., 23,50 €, numérique 18 €.
A Alexandrie, au début des années 1960, une bande d’amis se retrouve régulièrement dans une arrière-salle du restaurant Artinos après la fermeture. Il y a là l’avocat Abbas, le peintre Anas, le maître d’hôtel Carlo, ­l’industriel Tony, ou encore la ­libraire Chantal. Quelles que soient leurs racines, grecques, italiennes, françaises ou purement locales, et au-delà de leurs divergences d’appréciation sur l’évolution de l’Egypte depuis que les « officiers libres » ont renversé le roi Farouk, en 1952, tous sont viscéralement attachés à cette ville, qu’ils voient avec inquiétude tourner le dos à son passé cosmopolite et libéral sous la férule du colonel Gamal Abdel Nasser (1918-1970).
Pour son cinquième roman – tous sont traduits en français par Gilles Gauthier et publiés par Actes Sud –, l’auteur de L’Immeuble Yacoubian (2006), premier best-seller mondial de la littérature arabe moderne, s’inscrit plus que jamais dans les pas du maître égyptien du roman, Naguib Mahfouz (1911-2006), le cadre ressemblant ici trait pour trait à celui de Miramar (1967 ; Denoël 1990), l’unique roman où le Prix Nobel de littérature 1988 avait abandonné Le Caire pour Alexandrie. A l’époque, Miramar avait échappé de peu à la censure, les autorités y voyant à juste titre une critique voilée du régime de Nasser, et c’est dit-on l’intervention personnelle du raïs qui l’en avait sauvé.
Au soir d’Alexandrie ne risquait pas de connaître le même sort : El Aswany a dû s’exiler aux Etats-Unis après la parution de son précédent roman, J’ai couru vers le Nil (2018), publié (comme celui-ci) à Beyrouth. A ce prix, exorbitant, il peut donner libre cours à sa critique du système de gouvernement que les militaires ont imposé à l’Egypte depuis 1952 – à l’exception du bref intermède 2011-2013.
La critique de l’autoritarisme et la description de ses effets délétères sur le tissu social national sont en effet ses thèmes principaux. El Aswany prend son temps pour poser le décor et introduire les multiples personnages qui, au fil de l’intrigue, vont déterminer les destinées de Chantal, Tony, Carlo ou Anas, pour le meilleur et surtout pour le pire. Car ces derniers vont tous, d’une manière ou d’une autre, subir les conséquences du régime nassérien, que ce soit dans ses velléités de mise en place d’un prétendu socialisme – consistant surtout dans des nationalisations confiscatoires – ou dans la surveillance et la répression des opinions dissidentes. Le roman offre une représentation presque clinique de l’ambiance paranoïaque, du côté des surveillants comme des surveillés, qui régna dans le pays sous la ­dictature de Nasser, particulièrement à partir de la création, vers 1965, au sein de l’Union socialiste arabe, le parti unique mis en place quelques années plus tôt, de l’Avant-garde socialiste, sorte de parti dans le parti dont la liste des membres était tenue secrète et qui se transforma rapidement en une véritable ­police politique.
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